Elle a deux ans.
Elle dort dans le canapé.
Elle ignore encore tout de ce qui se passe dans le monde.
Son innocence la préserve des tempêtes actuelles et à venir. Mon regard l'enveloppe d'un bouclier protecteur. J'aimerais pouvoir la couver pour toujours. Lui épargner les souffrances inévitables, les pertes d'êtres chers, la décrépitude d'une société malade, les peines de coeur et les injustices profondes.
Je sais que c'est hors de mon contrôle. Viendra un moment où elle comprendra toutes ces choses. Elle est toute petite, fragile et déjà si forte. Elle porte en elle les germes d'une capacité à faire face, je le sais.
Certains gestes, pourtant, m'humidifient les yeux et font trembler ma carapace de mère. Quand elle réajuste mon masque alors que je la porte dans mes bras. Quand elle en prend un et essaie de le fixer les élastiques sur ses oreilles, pour imiter les adultes. Elle a deux ans. Les mesures sanitaires sont ancrées dans la réalité de sa génération et ça me rend profondément triste. J'aurais aimé qu'il en soit autrement. Qu'elle connaisse la liberté d'entrer partout sans discrimination, sans vérification, sans se couvrir le visage, celle qu'on prenait pour acquise.
J'ai tremblé aussi cet été, quand le village a été inondé, qu'on a dû laisser la voiture chez des voisins plus haut dans la rue, rentrer chez nous à pied avec les enfants sur les épaules pour traverser le ruisseau en crue. J'ai endormi les enfants avec une histoire, dans une maison sèche mais le coeur liquéfié. Je leur ai apporté tout l'apaisement possible avant d'aller constater les dégâts dans la cave, la grange et sur le terrain de notre escape game, notre presque unique source de revenus cette année. J'ai pleuré qu'on en soit là.
Et après? Qu'est-ce qui nous attend?
Je me questionne chaque jour sur ce qui va suivre. Je suis sensibilisée et informée au sujet de l'effondrement. Un vaste mot qui recouvre beaucoup de potentialités. Elles m'ont rongée d'inquiétude. Je me suis préparée mentalement à vivre une vie bousculée par des bouleversements climatiques, économiques, sociaux, énergétiques. Mais je ne suis pas prête à les voir vivre cette vie là. Pas eux, pas si jeunes.
"Il m'arrive de m'en vouloir"
Pourtant, ces bouleversements théoriques sont chaque année plus réels. Ils les vivent déjà. Des échos de pénuries de matériaux me parviennent (bois, construction, papier, ...). Les prix du pétrole s'enflamment. Les humains sont divisés. Des libertés fondamentales bafouées. J'ai choisi d'avoir des enfants. Je suis responsable de leur arrivée sur Terre. Quand je me laisse rattraper par les actualités, il m'arrive de m'en vouloir. Quelle vie vont-ils vivre? Pendant combien de temps encore le mode de vie privilégié qu'on a connu, nous, enfants, va-t-il tenir?
Trouver la réponse en soi
Elle a deux ans. Elle dort dans le canapé. Elle ignore encore tout de ce qui se passe dans ma tête. Mon regard l'enveloppe et l'amour que je lui porte embrase mon coeur et inonde notre foyer... Un foyer. La réponse à mes angoisses est là: leur offrir un cocon doux, serein, empli d'amour et de lumière. Un espace sécurisant, un refuge. Un lieu pour apprécier la vie et ses trésors, coûte que coûte. Chérir le goût de la vie et le leur transmettre, leur offrir un port d'attache solide, c'est ce que je peux faire de mieux pour eux. Ces considérations réveillent la guerrière en moi et mes instincts de louve, tandis que j'observe ses petites joues rebondies et que ma deuxième petite tête blonde ne va pas tarder à rentrer.
Alors, chère courageuse maman, je m'accroche à l'amour et à l'espoir qui m'ont guidée dans mon désir d'enfanter et ça me donne le courage d'élever (au sens propre) mes enfants dans ce monde qui part en vrille.
La maternité est définitivement quelque chose de grandiose et la force qu'elle nourrit au fond de nous est insondable, inépuisable.
Quand je t'écris, chère maman, et que je te qualifie de courageuse, sache que je pèse véritablement mes mots.
Et toi, comment vis-tu en tant que mère (ou pas) la période que nous traversons? Le futur de cette planète a-t-il questionné ton désir d'enfant ou la façon de les élever?
Ta sincère alliée,
Aurélie
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