Tout fout le camp mais je t'aime... Comment élever ses enfants sur fond d'effondrement?

Tout fout le camp mais je t'aime... Comment élever ses enfants sur fond d'effondrement?

Elle a deux ans. Elle dort dans le canapé. Elle ignore encore tout de ce qui se passe dans le monde. Son innocence la préserve des tempêtes actuelles et à venir. Mon regard l'enveloppe d'un bouclier protecteur. J'aimerais pouvoir la couver pour toujours. Lui épargner les souffrances inévitables, les pertes d'êtres chers, la décrépitude d'une société malade, les peines de coeur et les injustices profondes.

Je sais que c'est hors de mon contrôle. Viendra un moment où elle comprendra toutes ces choses. Elle est toute petite, fragile et déjà si forte. Elle porte en elle les germes d'une capacité à faire face, je le sais.

Certains gestes, pourtant, m'humidifient les yeux et font trembler ma carapace de mère. Quand elle réajuste mon masque alors que je la porte dans mes bras. Quand elle en prend un et essaie de le fixer les élastiques sur ses oreilles, pour imiter les adultes. Elle a deux ans. Les mesures sanitaires sont ancrées dans la réalité de sa génération et ça me rend profondément triste. J'aurais aimé qu'il en soit autrement. Qu'elle connaisse la liberté d'entrer partout sans discrimination, sans vérification, sans se couvrir le visage, celle qu'on prenait pour acquise.

Inondations juillet 2021 Namur

J'ai tremblé aussi cet été, quand le village a été inondé, qu'on a dû laisser la voiture chez des voisins plus haut dans la rue, rentrer chez nous à pied avec les enfants sur les épaules pour traverser le ruisseau en crue. J'ai endormi les enfants avec une histoire, dans une maison sèche mais le coeur liquéfié. Je leur ai apporté tout l'apaisement possible avant d'aller constater les dégâts dans la cave, la grange et sur le terrain de notre escape game, notre presque unique source de revenus cette année. J'ai pleuré qu'on en soit là.


Et après? Qu'est-ce qui nous attend?

Je me questionne chaque jour sur ce qui va suivre. Je suis sensibilisée et informée au sujet de l'effondrement. Un vaste mot qui recouvre beaucoup de potentialités. Elles m'ont rongée d'inquiétude. Je me suis préparée mentalement à vivre une vie bousculée par des bouleversements climatiques, économiques, sociaux, énergétiques. Mais je ne suis pas prête à les voir vivre cette vie là. Pas eux, pas si jeunes.


"Il m'arrive de m'en vouloir"



Pourtant, ces bouleversements théoriques sont chaque année plus réels. Ils les vivent déjà. Des échos de pénuries de matériaux me parviennent (bois, construction, papier, ...). Les prix du pétrole s'enflamment. Les humains sont divisés. Des libertés fondamentales bafouées. J'ai choisi d'avoir des enfants. Je suis responsable de leur arrivée sur Terre. Quand je me laisse rattraper par les actualités, il m'arrive de m'en vouloir. Quelle vie vont-ils vivre? Pendant combien de temps encore le mode de vie privilégié qu'on a connu, nous, enfants, va-t-il tenir? 

Trouver la réponse en soi

Elle a deux ans. Elle dort dans le canapé. Elle ignore encore tout de ce qui se passe dans ma tête. Mon regard l'enveloppe et l'amour que je lui porte embrase mon coeur et inonde notre foyer... Un foyer. La réponse à mes angoisses est là: leur offrir un cocon doux, serein, empli d'amour et de lumière. Un espace sécurisant, un refuge. Un lieu pour apprécier la vie et ses trésors, coûte que coûte. Chérir le goût de la vie et le leur transmettre, leur offrir un port d'attache solide, c'est ce que je peux faire de mieux pour eux. Ces considérations réveillent la guerrière en moi et mes instincts de louve, tandis que j'observe ses petites joues rebondies et que ma deuxième petite tête blonde ne va pas tarder à rentrer.

Alors, chère courageuse maman, je m'accroche à l'amour et à l'espoir qui m'ont guidée dans mon désir d'enfanter et ça me donne le courage d'élever (au sens propre) mes enfants dans ce monde qui part en vrille.

Trouver dans l'espoir et l'amour le courage d'avancer

La maternité est définitivement quelque chose de grandiose et la force qu'elle nourrit au fond de nous est insondable, inépuisable.

Quand je t'écris, chère maman, et que je te qualifie de courageuse, sache que je pèse véritablement mes mots.

Et toi, comment vis-tu en tant que mère (ou pas) la période que nous traversons? Le futur de cette planète a-t-il questionné ton désir d'enfant ou la façon de les élever?


Ta sincère alliée,

Aurélie


Si cet article a réveillé tes instincts de louve ou de guerrière, s'il t'a fait du bien, partage-le et contribue à ouvrir le débat. Car le choix d'avoir des enfants par les temps qui courent est une décision très personnelle, encore taboue et peu documentée.

2 commentaires

Chère petite maman courageuse.
Je suis certaine que tes enfants vont prendre ton courage, ta force, ton amour. Ils les transformeront, les développeront et les partgeront avec les leurs. Tu leur construit un bel éritage. Aïe confiance en eux, ils trouveront comment inverser le changement du monde actuel, grâce à tes dons de bonheurs, de sourires, de bienveillances, de questionnements ils seront armés pour vivre dans un nouveau monde qu’ils façonneront à ton image: forte, bienveillante, respectueuse de la nature et des autres….. Aïe confiance!
En vérité, moi je leur dis de vivre pour eux, de ne pas enfanter car malgré tout ce que je viens de t’écrire, j’ai aussi peur que toi!….
Bien à toi petite maman courageuse.

Claire Cornille-Delbarre

Aurélie,
Ton texte fait écho en moi. Je n’ai pas d’enfants pour l’instant, pour plein de raisons différentes mais la peur de l’effondrement, des bouleversements environnementaux et sociaux qui en découleront en sont quelques exemples. On se (re)pose la question souvent avec mon compagnon. On a peur, on ne sait pas quoi faire. Avoir un enfant dans ce monde, est-ce vraiment un cadeau? N’est-ce pas un peu égoïste? Ou est-ce qu’au final, l’amour qu’on pourrait lui donner serait suffisant? Il n’y a pas de réponse toute faite. C’est un coup de poker. Et est-ce qu’on peut vraiment jouer la vie d’un être humain sur un coup de poker? On ne sait pas ,et on vit avec cette incertitude.

Ton texte illustre une certaine acceptation, une capacité étonnante à réussir à faire la part des choses entre ce qu’on peut contrôler et ce qu’on ne peut pas. En tout cas, ça a le mérite d’ouvrir le débat. Merci pour ce partage <3

Caroline L.

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